• MATER DOLOROSA

    MATER DOLOROSA
        
    Lorsque son Fils, Jésus, fut lamentable et beau,
    Descendu de la croix et mis dans le tombeau,
    Marie, ayant, dans sa plénitude sévère,
    Accompli jusqu'au bout son maternel calvaire,
    Eut soif, soudain, d'un peu de paix, d'isolement.
        
    En dépit de leurs soins, repoussant doucement
    Tous les êtres aimés qui partageaient sa peine,
    Tous, jusqu'à Jean l'apôtre et jusqu'à Madeleine,
    Elle laissa leurs coeurs se consoler entre eux
    Et, seule à seule, avec son rêve douloureux,
    A travers le veuvage éperdu de cette heure,
    S'en revint vers le soir dans sa triste demeure.
        
    L'univers tout entier semblait frémir encore
    Du récent drame auquel il servait de décor.
    Les oliviers, tordus par de tragiques bises,
    Secouaient sur le sol, sans fin, les feuilles grises
    Qui, tels des pleurs de cendre erraient, vol infécond
    Le crêpe échevelé des nuages de plomb
    Voilait le front lointain et livide des cimes
    Où le couchant râlait en des rougeurs de crimes.
        
    Marie, avec effroi, se demandait comment
    Dieu, malgré l'équité de son esprit clément,
    Pardonnerait jamais aux hommes cette faute
    Dont l'aberration se révélait si haute,
    Que les éléments mêmes exhalaient, anxieux,
    L'innombrable courroux de la terre et des cieux.
        
    En révolte, non loin, au coeur d'un térébinthe,
    Une palombe, oiseau de paix, pleurait sa plainte !
        
    Soudain, sur le sentier, au-devant de ses pas,
    La Vierge vit venir une femme. Si las
    Semblait son pauvre corps, courbé
    [par la vieillesse
    Son visage ridé, son regard de détresse,
    Que Marie, au travers de sa propre douleur,
    Devina dans cette âme une misère soeur.
        
    Lors, elle interrogea doucement l'inconnue.
    Celle-ci, d'une voix navrante, contenue,
    Ne put que lui répondre en se tordant les mains
    Et secouant la tête : "Ah ! Passez vos chemins,
    Femme, et laissez leur cours à mes larmes
    [amères...
    Je suis, hélas ! la plus malheureuse des mères !
        
    La Mère des douleurs d'un geste l'arrêta.
    Quel tourment, ici-bas, valait son Golgotha ?
    Quel fils pouvait subir un destin plus infâme ?
    Elle voulut savoir le nom de cette femme...
    L'étrangère frémit. Sur l'émoi d'alentour,
    Ses yeux brûlés, ternis, se fixaient tour à tour,
    En angoisse craintive, en muette prière.
    Son être, sous le poids de la honte dernière,
    Plia. Son souffle, empreint d'horreur, sourd
    [comme un glas,
    Agonisa : "Je suis... la mère... de Judas !"
        
    Marie, à son tour, tressaillit. Puis, convaincue
    Par cette immensité de torture vécue,
    Sentit son coeur se fondre en cri de pitié.
    Douce, elle releva le corps humilié
    Et, dans un fraternel élan, posa ses lèvres
    Sur le pâle visage où les pleurs et les fièvres
    Expiaient, en vertu d'un mystère infini,
    L'autre baiser donné sur le Gethsémani !
        
    Pendant ce temps, non loin, au coeur du
    [térébinthe,
    L'oiseau de paix, l'oiseau d'amour, chantait
    [sa plainte !