• TEMOIGNAGE DE YOLAINE (1ère partie) : MEDJUGORJE A L'EPREUVE DE LA GUERRE

    Cette interview a été réalisée le 17 juin 2003. Yolaine, qui connaît très bien Medjugorje, est mariée, mère de quatre enfants et trois fois grand-mère.
        
    RV : Yolaine, quand et comment avez-vous entendu parler de Medjugorje pour la première fois ?
        
    YOLAINE : Et bien c'était dans le journal "Le Figaro". Il y avait un petit article de trois lignes dans lequel on parlait de Medjugorje et, donc, des apparitions. J'y ai cru immédiatement parce que je faisais le catéchisme depuis déjà un certain temps, et je me suis dit que c'était un ultime appel de la Sainte Vierge qui s'adressait au monde entier. A partir de cette lecture, j'ai voulu partir très vite à Medjugorje.
        
    RV : Qu'est-ce qui a fait que vous y ayez cru si rapidement ? Vous auriez pu souhaiter attendre une reconnaissance officielle avant de vous y rendre.
        
    YOLAINE : Non, car quand j'ai lu cet article, c'était pour moi, je le répète, l'ultime appel de la Sainte Vierge qui s'adressait au monde entier. Donc, j'y ai vraiment cru tout de suite.
        
    RV : Quand êtes-vous allée pour la première fois chez la "Gospa" ?
        
    YOLAINE : C'était en juillet 1985. A ce moment-là, c'est vrai, il n'y avait pas beaucoup de pèlerins. Mais j'étais très très très très émue ! Quand je suis arrivée sur cette terre, j'ai rencontré les voyants mais cela a été assez fugitif car nous étions deux ménages à faire le voyage. Il y avait un couple qui ne croyait pas. Donc, nous étions un peu "assis entre deux chaises". Quand je suis repartie, j'étais pleine, pleine de joie, mais je n'avais qu'une seule idée en tête : c'était de revenir.
        
    RV : Ces moments "fugitifs" durant lesquels vous avez vu les voyants, était-ce pendant des apparitions ?
        
    YOLAINE : Non, en fait, je les ai rencontré tout à fait par hasard. On parlait des voyants, avec un marocain, et tout d'un coup il m'a dit : "Retournez-vous !" Lorsque je me suis retournée, il y avait quelques voyants qui étaient là. Donc, j'ai pu les saluer. Mais j'avoue que je n'étais pas obnubilée par le fait de les rencontrer. Vraiment, pour moi, Medjugorje était une terre mariale. Avant tout mariale.
        
    RV : Pourtant, si j'ai bonne mémoire, les apparitions étaient encore quotidiennes pour la plupart des voyants, en 1985, et elles devaient avoir lieu à 18h40 dans l'église Saint Jacques…
        
    YOLAINE : Non, c'était au presbytère.
        
    RV : Ah, déjà ?
        
    YOLAINE : Oui, c'était au presbytère parce que l'on interdisait aux enfants d'aller à l'Eglise. Pour les apparitions, bien sûr, pas pour les messes ! Ils ne se cachaient pas, mais ils obéissaient à ce que disait le diocèse. Il y avait là une petite foule, si l'on peut dire, qui se pressait derrière la porte du presbytère et qui attendait pour apercevoir les voyants. Et c'est là, aussi, que j'ai pu les voir descendre la dizaine de marche du presbytère.
        
    RV : Mais vous n'avez pas pu y entrer personnellement ?
        
    YOLAINE : Non.
        
    RV : Pourriez-vous nous expliquer dans quelles circonstances vous êtes retournée à Medjugorje, la deuxième fois ?
        
    YOLAINE : C'était en 1992. Juste au début de la guerre. J'avoue que je suivais ce conflit de très très très près. Un matin, vers 4h, j'ai entendu, dans ma chambre, une voix qui disait de manière très très très forte : "La Bosnie Herzégovine !" Toute ma chambre en était pleine… mais c'était quelque chose d'inexplicable. Quand je me suis réveillée – mais, en fait, c'était comme si j'étais déjà réveillée – mon cœur était plein de la Bosnie Herzégovine. Bien sûr, je n'avais pas compris ce qui allait se passer dans la journée… Je me suis donc levée avec cette "Bosnie Herzégovine" au fond de moi, et c'était quelque chose d'extrêmement troublant. J'ai pris mon petit déjeuné et j'ai passé ma matinée avec le nom de ce pays dans mon cœur. Comme je vous l'ai dit, c'était un phénomène que l'on ne peut pas expliquer… et tout à fait hors du commun ! 
        
    RV
    : Quelque chose que l'on pourrait qualifier de "surnaturel" ?
        
    YOLAINE : Quelque chose de surnaturel… mais en même temps de très "naturel", car ce n'était pas un rêve !
        
    RV : Que s'est-il donc passé, ensuite, au cours de cette fameuse journée ?
        
    YOLAINE : Et bien à 14h, un cousin m'appelle. Je ne l'avais jamais entendu auparavant. Il me dit : "Je reviens des caves ! Je reviens de la Bosnie Herzégovine !!" Il pleurait. Il était pharmacien sans frontière. Il venait de voir mourir une jeune femme de 20 ans. Il me dit : "Yolaine, je t'en supplie. Fais quelque chose. Tu as du temps. Je t'en supplie ! Fais quelque chose !" A ce moment-là, je lui ai répondu : "Oui, oui, je vais faire quelque chose. Mais quoi ?" Il me dit : "Et bien tu n'as qu'à aller dans les écoles et demander des dessins et des cartes postales que l'on va envoyer à l'OTAN et à l'ONU". Moi, je me suis dit que j'allais faire quelque chose, mais que ce serait plus concret que cela. Puis, nous nous sommes dit au revoir. Notre conversation a duré 5mn. Pas plus.
        
    RV : Et puis ?
        
    YOLAINE : Ensuite, j'ai pris mon manteau car c'était l'hiver. Nous étions au début de l'année 92. Je suis descendue dans la rue et, au bout de deux minutes, j'ai rencontré une personne par l'intermédiaire de laquelle j'ai pu obtenir un entrepôt. Personnellement, j'avais tout de suite compris que ce dont les gens avait le plus besoin, en Bosnie, c'était de vivre et de vêtements. J'avais compris cela dans mon cœur. Cette personne m'a également donne l'adresse d'un certain Jean-Claude Terrien, qui était alors responsable des cars et des pèlerinages. De ce pas, je suis donc allée chez lui. Quand je lui ai raconté ce que je voulais faire, Jean-Claude Terrien a pris son téléphone et il a appelé un ami qui se trouvait à Carquefou et qui s'occupait de la banque alimentaire avec un notaire de la ville (NDLR : Carquefou est le chef lieu de la Loire-Atlantique). Dès le lendemain matin, j'ai eu un rendez-vous. Et là, au cours de ce rendez-vous, en quelques minutes seulement, ils m'ont dit qu'ils avaient un camion de trente tonnes, mais qu'ils n'avaient ni le "cerveau" ni les "bras" pour le remplir et l'envoyer à Mostar. Mostar, il faut que vous le sachiez, est situé pas très loin de Medjugorje; à environ 25-30 kilomètres.
        
    RV : C'est là que se trouve l'évêché dont dépend la paroisse de Medjugorje, d'ailleurs.
        
    YOLAINE : Oui, exactement. Et donc, ce qui a été vraiment invraisemblable, dans cet appel que j'ai ressenti à m'occuper de la Bosnie Herzégovine, c'est que je me suis retrouvée à la tête de ce camion de trente tonnes ! Et pendant trois ans, c'est-à-dire en 1992, 1993 et 1994, nous avons rempli un camion de trente tonnes tous les deux mois !
        
    RV : Ce qui signifie que vous vous êtes personnellement rendue en Bosnie tous les deux mois pendant trois années consécutives ??
        
    YOLAINE : Non, car j'étais le "cerveau", si l'on peut dire, ou plus exactement "l'organisatrice". Vous comprenez bien que chaque fois que trente tonnes venaient de partir pour la Bosnie, tout devait recommencer à zéro ! Toutefois, je me suis quand même rendue personnellement à Mostar, et aussi à Medjugorje, car il fallait témoigner. Et à partir de mon expérience, de ce que je faisais à Mostar, j'ai pu aller dans les écoles avec une cassette vidéo et dire ce que j'avais vu, ce que l'on avait fait des vivres, des vêtements, des couvertures, des produits chirurgicaux… ce que nous emportions était "à la demande", en fait. Nous étions toujours en rapport avec des familles qui s'occupaient de cette organisation. (NDLR : Le mari de Yolaine ayant été muté dans un pays d'outre-mer fin 94, pour son travail, elle n'a pas pu continuer l'organisation des convois humanitaires jusqu'à la fin de la guerre, en 95).
        
    RV : J'imagine que les voyages qui ont eu lieu pendant la guerre ont dû être un peu risqués !
        
    YOLAINE
    : Il faut que vous sachiez qu'à Mostar, personne ne pouvait pénétrer. Même l'ONU n'avait pas le droit d'y aller ! Nous étions seuls. Seuls ! C'était lunaire !
        
    RV : N'y avait-il quand même pas quelques organisations humanitaires pour apporter de l'aide aux gens ?
        
    YOLAINE : Non. Non, car à ce moment-là il n'y avait que des initiatives privées. Tout se faisait "au compte-goutte". Il y avait le frère de sœur Emmanuel, qui vit à la communauté des Béatitudes à Medjugorje.
        
    RV : Le docteur Maillard ?
        
    YOLAINE : Oui, c'est cela. Le docteur Maillard. Il y avait aussi un certain Thomas Hughes des Pointes qui s'est donné beaucoup, beaucoup de mal avec plusieurs étudiants. C'était de la pure folie, mais ils ont fait des choses vraiment fantastiques ! Et puis, ça s'arrêtait pratiquement là. La grande difficulté, je le répète, était qu'il fallait pouvoir rentrer dans la ville. On devait prévenir longtemps à l'avance de notre arrivée… les choses ne se faisaient pas simplement "comme cela" ! Ce que je voudrais aussi rajouter, c'est que nous dormions à Medjugorje. Et la nuit, on entendait les obus. Il pouvait y avoir jusqu'à 2000 obus par jour ! Etant donné que l'on savait que la Sainte Vierge avait dit que Medjugorje ne serait pas touché, on peut dire que l'on dormait tranquillement. D'ailleurs, Medjugorje n'a pas été touché. Il s'est passé des choses absolument invraisemblables à cette époque.
        
    RV : Par exemple ?
        
    YOLAINE : Et bien par exemple, je peux vous raconter qu'une fois nous avons dormi chez un certain Josip qui avait une maison tout près de l'église et qui reçoit d'ailleurs toujours des pèlerins aujourd'hui. Juste la veille de la guerre, il avait tué une vache qu'il avait débitée et mise dans le congélateur. Or, à cette période, il n'y avait vraiment rien dans les magasins. J'ai vu une boîte de sardines, une bouteille d'eau… mais c'est tout ! Josip invitait donc les gens à venir manger cette viande. Et au bout de deux ou trois semaines, il s'est aperçu que ce n'était pas "la multiplication des pains" mais "la multiplication de la vache" !! Et cela, beaucoup de gens mis à part moi pourraient le dire !!
        
    RV : Oui, effectivement, cette histoire est très connue des pèlerins. Les organisateurs de voyages en Bosnie ne manquent d'ailleurs jamais une occasion de la raconter !
        
    YOLAINE : Et puis il y a aussi tous ces pilotes serbes qui voulaient bombarder Medjugorje. Mais il se passait de telles choses dans leurs avions qu'ils étaient obligés de s'éjecter !!
        
    RV : Oui, c'est vrai. Sœur Emmanuel en parle assez longuement dans son livre : "Medjugorje, la guerre au jour le jour" (NDLR : aux éditions des Béatitudes). Je crois me souvenir qu'un pilote a vu un jour le sol disparaître sous lui ! Mais pour en revenir à la guerre en elle-même, pourriez-vous nous dire quel effet elle a eu sur les gens, là-bas ?
        
    YOLAINE : Quand je suis partie avec le camion pour la première fois, en mars 92, il y avait deux hommes et j'avais aussi emmené avec moi ma fille de 20 ans. Nous sommes dons partis tous les quatre, et nous avons commencé à traverser Zadar (NDLR : Zadar est une ville portuaire de la Croatie, située au bord de la mer Adriatique). Là-bas, on a commencé à voir l'image de la guerre : une image peu rassurante. On voyait des voitures qui passaient en trombe. Les hommes qui en sortaient étaient tous vêtus en militaires. Tous étaient très très très agités, et armés jusqu'au cou ! C'était déjà une ambiance de guerre du XXe siècle, il y avait une lourdeur… Durant le voyage, nous avons dû prendre le bateau car il faut que vous sachiez qu'il n'y avait plus de route. Nous risquions donc, quand nous traversions l'Adriatique, les rafales ! Oui, on a pris quelques risques… mais on ne peut pas dire que l'on avait la peur au ventre. Nous étions quand même assez sereins ! Les deux hommes avec qui nous étions conduisaient le camion, tandis que nous, avec ma fille, nous les suivions en voiture.
        
    RV : Et quelle était la situation sur place ?
        
    YOLAINE : La chose assez étonnante est qu'à chaque fois que nous arrivions à Medjugorje, après 36 heures de voiture, le père Slavko était toujours là avec un sourire si lumineux, une présence si forte… qu'on était immédiatement remplis de l'Esprit Saint ! (NDLR : Le père Slavko Barbaric, qui est décédé en novembre 2000, était le curé de la paroisse de Medjugorje. Il était aussi l'accompagnateur des voyants). Il est vrai que je n'étais pas retournée à Medjugorje depuis 1985, et entre temps, j'ai trouvé qu'il y avait eu du changement.
        
    RV : Qu'est-ce qui n'était plus comme avant ?
        
    YOLAINE : Déjà, il n'y avait plus ces champs de tabac, parce que la Sainte Vierge avait demandé d'arracher tout ça.
        
    RV : Et qu'avaient mis les gens, à la place ? On sait, en effet, que les plantations de tabac constituaient la principale source de revenus pour la population locale !
        
    YOLAINE : Et bien les terres étaient restées vierges… Mais ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y avait déjà, dès 1992, pas mal de constructions qui étaient faites pour accueillir les pèlerins. C'est surtout cette différence qui m'a frappé entre 1985 et 1992 : énormément de maisons s'étaient transformées en hôtels… et ces derniers, d'ailleurs, continuent de se bâtir à ce jour. J'ai su aussi qu'avant la guerre, il y avait des dancings où se promenait la drogue… mais tout cela avait disparu ! Bien sûr, il est vrai que lorsque nous sommes arrivés à Medjugorje, en pleine guerre, par un vent glacial, il n'y avait pas âme qui vive. Sur les arbres, je me souviens qu'il y avait beaucoup d'annonces où figuraient des noms de jeunes qui étaient morts au combat. C'était lugubre ! Dans les magasins, il n'y avait rien. Les gens avaient tellement froid ! Ils étaient repliés sur eux-mêmes. Vous savez… c'était… on restait sans voix !
        
    RV : Et à Mostar ?
        
    YOLAINE
    : A Mostar, c'était l'effroi. Dans la principale rue du centre, qui, avant, était très animée et très vivante, il n'y avait que des pans de murs. Oui, il ne restait que des pans de murs ! A l'hôpital, c'était désespérant de voir tous ces malades ! Je le redis : c'était vraiment lunaire ! Il n'y a pas de mot pour le décrire !! Nous avons vu simplement une seule ambulance ! Elle appartenait aux Chevaliers de Malte. Des familles étaient répertoriées et, en ce qui nous concerne, nous leur donnions à chacune un sac contenant de la nourriture, de la lessive, etc, etc… Cela se faisait dans un magasin car l'école était fermée. Une fois, je me suis aperçue que des enfants n'avaient même pas de chaussures à se mettre aux pieds. Alors, deux mois plus tard, je me suis arrangée pour leur en apporter. Mais ce qui était important, pour notre association, c'était surtout de témoigner de ce que nous avions vu et entendu. Lors d'un autre voyage, l'aide aux familles à pu se faire dans l'école car elle avait ré-ouvert. Mais les professeurs étaient désespérés car ils n'étaient pas payés. Ils avaient tous froid, et aucun enfant ne paraissait normal. Ils étaient dans un état d'agitation et de fébrilité très grand. Aucun ne restait en place. Certains avaient perdu la voix. Je suis certaine Qu'il y a une génération qui sera marquée par ces années.
        
    RV : Que voulez-vous dire par "certains avaient perdu la voix" ?
        
    YOLAINE : C'est-à-dire qu'il ne pouvait plus sortir aucun son.
        
    RV : Et pourquoi cela ? Parce qu'ils avaient peur des bombes ?
        
    YOLAINE : Oui, des bombes. A Mostar, il y a eu jusqu'à 2000 obus par jour ! Ca a vraiment été une ville martyre !! Il y avait 17 ponts… et le dernier, qui datait du XVe siècle, a lui aussi sauté.