• LES 7 DONS DE L'ESPRIT SAINT

    Des extraits de méditations écrites par Nathalie Nabert (doyen honoraire de la faculté de Lettres de l'Institut Catholique de Paris). Ces méditations sont parues dans le journal "La Croix" pendant le Carême 2009. 
        

    1-La Sagesse

    La Sagesse ne se proclame pas. Elle ne se révèle pas dans l'éblouissement de l'intelligence. Elle est le souffle léger d'une onction, le murmure intérieur de la sollicitude divine, du discernement, la mesure des jours et des nuits où la peine et les chutes pèsent le poids d'une plume dans le miroir de Dieu qui lave tout de sa grande eau de Carême, de mort et de Résurrection : "La sagesse est le reflet de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l'activité de Dieu, l'image de sa bonté. Comme elle est unique, elle peut tout; et sans sortir d'elle-même, elle renouvelle l'univers. De génération en génération, elle se transmet à des âmes saintes, pour en faire des prophètes et des amis de Dieu" (Sagesse 7, 26-27).

    On associe souvent la sagesse à la vieillesse, qui s'en va vers la mort en laissant sa semence derrière elle, et on se méfie du bois vert de la jeunesse intransitive qui a tout à apprendre. On se trompe. On fragmente la miséricorde de Dieu, on jette une couverture de laine sur les prémices de l'humanité et on oublie l'essentiel : que la sagesse est l'inhabitation de Dieu en nous. Ainsi l'écrivait Thomas d'Aquin au XIIIe siècle : "Dieu est présent à tous les êtres et il est en eux : par sa présence en tant que tout est nu et à découvert devant ses yeux, par son essence en tant qu'il est en tous les êtres comme cause de leur existence" (la-Q. 8 a 3).
         
    2-L'intelligence

    L'intelligence que nous avons reçue de l'Esprit n'ajoute rien à la Parole de Dieu : elle la dévoile, la lustre de ses talents d'intellection, et la rapatrie dans les prairies verdoyantes de la prière, de la vérité mangée et bue dans sa virginale origine comme la grappe de raisin réduite au pressoir.

    Mais rien ne peut se rajouter à elle, car elle est celle qui se donne à notre désir et que nous recevons, les mains vides et les lèvres fermées, ainsi que l'énonce l'auteur du Livre des proverbes : "Toute parole de Dieu est éprouvée. Il est un bouclier pour qui s'abrite en lui. N'ajoute rien à sa parole : Il te le reprocherait comme un mensonge" (Pr 30, 5-6). 
         
    3-Le Conseil

    Si Jésus n'avait pas eu les gestes qui consolent, s'il n'avait pas réchauffé le cœur imparfait de Nicodème (Jean 3, 1-21), s'il ne lui avait pas transmis l'or de l'Esprit qui chemine en chacun au gré de la grâce, Nicodème serait resté le parent pauvre d'un baptême refusé, d'une onction coupée de vinaigre, comme tous ceux que nous n'accueillons pas.

    Au Vème siècle, Diadoque de Photicé, qui défendit l'égalité de l'humanité et de la divinité dans l'unique personne du Christ lors du concile de Chalcédoine (451) contre les hérésie de son temps, présente ce cheminement progressif de la grâce en celui à qui elle a été communiqué : "Lorsqu'en hiver quelqu'un se tient en plein air et se tient tout à fait vers l'est, au début du jour, toute la partie antérieure de son corps est chauffée par le soleil, tandis que son dos reste entièrement privé de chaleur, parce que le soleil ne se situe pas au-dessus de sa tête. Il en va de même pour ceux en qui l'Esprit Saint commence à exercer son action : le cœur ne se réchauffe que partiellement sous l'effet de la grâce sainte". 
        
    4-La Force

    La force est l'affaire de l'homme éprouvé, car elle est l'affirmation de la présence salvatrice de Dieu en lui. Elle est la mise au rebut du mal et de l'échec par l'endurance à espérer contre le vent de la révolte et la marée du renoncement.

    L'homme éprouvé fond comme cire au soleil, il se défait et se reforme à la lueur de Dieu, dans la boue et les cris de douleur, quittant l'énigme de la souffrance pour le mystère profond de la vie divine. Le don de force nous fait traverser le malheur. Sans rien laisser à la nuit qui vient, il nous tend inlassablement vers ce murmure intérieur dont nous ne percevons pas avec clarté toutes les syllabes : "Je suis la lumière du monde : qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie" (Jn 8, 12).

    Si la théologie de la souffrance est si présente dans la Bible, c'est pour nous éclairer sur notre vocation à la fidélité et pour mettre à l'épreuve la rencontre inattendue de deux infinis. 
         
    5-La Science

    L'esprit de science est un don très précieux qui nous fait grandir dans la vérité. Il transmet le haut savoir de Dieu sans pour autant le dépouiller de son mystère ni de sa grandeur.

    Il fait de nous des héritiers et des passeurs de l'espérance de Dieu, dont le prophète Osée affirmait que si nous nous appliquions à le connaître, jour après jour, Il nous reviendrait "comme l'ondée et la pluie de printemps qui arrose la terre" (Os 6, 3).

    La science ne canalise pas Dieu, pas plus qu'elle ne peut le contenir entre les remparts de la raison. Elle appartient au labeur éclairé de l'homme, à sa vigoureuse aptitude à décaper et dérouiller tout ce qui couvre son esprit de confusion et d'énigme. Et si elle repose sur l'épais domaine des connaissances scientifiques, historiques, philosophiques et théologiques, elle ne peut, néanmoins, s'y réduire sans faire défaut.

    Notre science doit donc, plus qu'être savante, se faire celle des humbles et des ânes. La Bible rejette à de nombreuses reprises ce pharisaïsme qui nous tient trop souvent, lorsque nous prétendons parler de Dieu comme des gens d'autorité.

    Alors il est évident que le don de science ne consiste pas à rajouter ou à retirer à la connaissance que nous avons de Dieu, mais à laisser être en nous sa naissance, dans une attitude d'accueil et de détachement. 
         
    6-La Piété

    Veiller nous purifie du bavardage, des intentions nuisibles, de la duplicité du faire et du paraître, de l'engoncement humain.

    Cela nous détourne de nous et nous détoure dans ce sanctuaire de la vie divine où nous manquons lorsque nous ne nous y tenons pas. Il y a dans cette ferveur quelque chose qui, comme la communion, nous lave et fait s'absenter le mal. Dans son souci de faire tout comprendre de Dieu, de la dévotion et des sacrements, François de Sales utilise, avec un charme qui ne brutalise pas, de ces images d'enfance qui illuminent les coins obscurs de nos lassitudes et de nos défections : "Croyez-moi, les lièvres deviennent blancs parmi nos montagnes en hiver parce qu'ils ne voient ni ne mangent que la neige, et à force d'adorer et manger la beauté, la bonté et la pureté même en ce divin Sacrement (la communion), vous deviendrez toute belle, toute bonne et toute pure" ("Introduction à la vie dévote", Gallimard 1969, p.121). 
         
    7-La Crainte

    "La parole me réveille chaque matin, chaque matin, elle me réveille pour que j'écoute, comme celui qui se laisse instruire" (Is 50,4-5).

    Isaïe si prompt à témoigner de la Parole de Dieu, si expert à dévoiler ce que nos yeux ne voient pas, à faire apercevoir ce que nos oreilles n'entendent pas et comprendre ce que nos sens et notre esprit ignorent, nous a fait don de la crainte de Dieu, entre les piliers de la force et de la connaissance, pour nous faire connaître notre petitesse et la grandeur de Dieu, pour nous inviter à l'humilité du savoir et à la docilité des sources et des racines qui se laissent instruire et courber par la terre maternelle.

    Il nous faut donc moins entendre, dans le don de crainte, le vacillement de nos peurs devant l'inconnaissable mystère de la transcendance, que la respectueuse obéissance des enfants de l'Eternel, si proche et si lointain à la fois, qui les berce la nuit venue et redresse leurs âmes tortueuses, le jour naissant (Lc 3,5).